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mardi 5 juillet 2011

Le goût de la vérité n'empêche pas la prise de parti

"On veut informer vite au lieu d'informer bien. La vérité n'y gagne pas." Camus, dans Combat du 8 septembre 1944.

L'affaire Dominique Strauss-Kahn est une superbe illustration en 2011 de ce propos, tenu en une période sombre de notre histoire. Certes, le contexte est différent, mais le comportement humain est le même. A chaque temps son échelle, et l'information dérape toujours en voulant accélérer pour penser être meilleure. Il n'en est rien. Le travail de l'information devrait être celui de la réflexion et de l'analyse. Fournir des faits bruts sans qu'ils soient confrontés à f'autres, comparés, rapprochés, rassemblés n'a que peu d'intérêt. Ou, au contraire, l'intérêt de masquer le propos initial.

Dans cette affaire, qui touche une personne importante au sens de connue au niveau mondial, il y a bien évidemment plusieurs angles de lecture:
  • un angle purement juridique. Pour l'aborder correctement, il faut comprendre les différences des système judiciaires américains et français. Le système américain est accusatoire, le système français est inquisitoire. Une des différences réside dans le rôle du juge qui est actif dans le modèle inquisitoire, alors qu'il n'a seulement qu'à apprécier les éléments fournis par les parties dans le modèle accusatoire. Au cas d'espèce, dans le modèle inquisitoire, une procédure de justice chercherait à savoir ce qui s'est réellement passé dans la chambre de l'hôtel Sofitel de New-York. Dans le système accusatoire, le juge devra apprécier les preuves que lui apportent les parties, en particulier le procureur (celui qui accuse au nom de l'Etat). La décision d'un tribunal américain est prise "hors d'un doute raisonnable". Il faut donc éliminer pour le procureur tout doute potentiel sur les preuves et témoignages qu'il apporte. le rôle de la défense est de montrer, au contraire, que telle preuve ou tel témoignage est entaché d'un doute certain. Il semble, d'après les éléments qui sont communiqués ici ou mà et dans la mesure où le comportement du procureur tend à les accréditer, que les éléments de preuve ne résisteront pas à un procès pour écarter tout doute raisonnable. Il est donc fort probable que le procureur abandonne les charges qu'il ne pourra pas défendre lors d'un procès. Pourquoi cela? D'abord parce techniquement il sait que son dossier risque fort de n'être pas solide et surtout parce qu'il est un élu. Un procès aussi retentissant, de par la personnalité du prévenu, sera médiatisé. Un échec est un échec d'un candidat à une élection, un échec médiatisé, en période électorale. Le temps qui passe aujourd'hui est un temps où, probablement, le procureur cherche une voie de sortie raisonnable plus qu'un renforcement de son dossier. En parallèle, la défense a probablement tout intérêt à ne rien faire pour donner plus de poids à l'abandon des poursuites.
  • un angle moral. La morale n'a rien à faire avec le droit, mais une action judiciaire du type de celle qui est menée à New-York laisse forcément des traces. En effet, s'il y a abandon des charges et donc pas de procès, cela veut dire que personne n'a été capable de prouver que les faits très graves présentés par la plaignante se sont effectivement déroulés. Plus personne ne doute et la défense ne le conteste pas, semble-t-il, l'existence de relations sexuelles. la question reste de savoir si elles ont été consenties ou pas, avec ou sans violences, tarifées ou non, etc. Un système inquisitoire chercherait à reconstruire le film complet des événements. On ressort blanchi d'un non-lieu prononcé par un système inquisitoire. On ressort différemment d'un abandon de charges dans le système accusatoire.
  • un angle plus éloigné des faits. C'est la théorie du complot, théorie qui naît facilement du rapprochement de faits bruts non analysés. Par exemple, quand on explique que le service de sécurité du Sofitel a prévenu l'Elysée, il manque une donnée extrêmement importante: quand? En effet, si l'appel a eu lieu avant les faits, ou avant l'arrestation ou après cette dernière, les choses sont complètement différentes. Le complot peut être avéré ou, au contraire, on peut trouver un fonctionnement normal d'une entreprise internationale face à un problème concernant une personnalité politique mondiale. Bien d'autres éléments de cette affaire pourraient nourrir cet angle de vue. Des journaux se sont chargés de les exploiter.
Laisser du temps au temps pour informer, mais ne pas laisser les événements s'échapper lorsque des situations graves et dramatiques se présentent. Mélanger le temps de la police, celui de la presse et celui de la politique ont ici illustré tout ce que Camus recommandait d'éviter.

Le métier du journaliste devient considérablement difficile dès lors que la circulation de l'information s'accélère. Il doit donner une information construite et analysée le premier certes, mais doit le faire en respect de son travail d'analyse. C'est peut-être ainsi que se dessine la vérité, qui n'est pas symbole d'unicité ou de platitude. Le parti pris existe et n'est pas contradictoire, là encore, comme le précisait Camus dans le même article:  "Certes, le goût de la vérité n'empêche pas la prise de parti. Et même, si l'on a commencé de comprendre ce que nous essayons de faire dans ce journal, l'un ne s'entend pas sans l'autre. Mais, ici comme ailleurs, il y a un ton à trouver, sans quoi tout est dévalorisé."
Deux documents intéressants qui prennent un peu de recul sur les faits:
Quelques leçons de la tragédie New-Yorkaise, article du blog de Bertrand Delanoë et DSK on se calme et on se résume, article du blog de Fabienne Sintes

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